LE KAMIKAZE

Writer // Boris Rodesch  - Photography // Michel Verpoorten

Le judoka bruxellois d’origine bulgare — champion d’Europe et vice-champion du monde — garde un goût très amer de sa première participation aux Jeux olympiques. Après avoir subi trois opérations en deux ans, celui qui vient de devenir papa, met tout en œuvre pour réaliser son rêve à Tokyo, décrocher une médaille olympique. Nous rejoignons Toma Nikiforov dans son club de cœur au Judo Royal Crossing Club Schaerbeek.

MIZ_9179.jpg

Comment avez-vous commencé le judo ?

Mes parents sont arrivés de Bulgarie en 1991. Ils ont emménagé chez Alain De Greef, le dirigeant du Crossing de Schaerbeek, devenu mon entraineur en club. Ils habitaient au-dessus de la salle. Mon père avait un très bon niveau, il a été plusieurs fois champion de Bulgarie et de Belgique. Il me suffisait de descendre dix marches et j’étais sur le tatami. Je ne marchais pas encore et j’imitais déjà le salut des judokas. L’odeur de la salle, du kimono et du tape, c’est quelque chose qui me définit. J’ai fait plein d’autres sports, des cours de théâtre et d’anglais, mais il y a une seule chose que je n’ai jamais voulu arrêter, c’est le judo.

Quel est votre premier souvenir des Jeux olympiques ?

Je me souviens de Kôsei Inoue aux Jeux de Sydney, en 2000. Jamais un judoka n’a remporté la médaille d’or avec tant d’aisance. Il a massacré tout le monde, mais toujours avec respect. Je le vois encore sur le podium avec la photo de sa maman qui venait de décéder, cette image est restée gravée.

MIZ_9383.jpg

Aujourd’hui, vous vous sentez comment physiquement ?

Cela fait très longtemps que je ne me suis plus senti aussi bien. Les blessures et les opérations sont derrière moi, je ne ressens plus aucune douleur.



Vous êtes déjà passé neuf fois sur le billard à 27 ans… C’est la norme pour un judoka ?

Neuf opérations, ça reste traumatisant, mais avec le judo extrême que je pratique, ce n’est pas étonnant. Heureusement, je n’ai aucune séquelle.

Si vous deviez définir votre style ?

On me surnomme souvent le kamikaze. Cela se joue très rarement sur des demi-points, mais plutôt sur des ippons, l’équivalent d’un K.O. en boxe. On s’ennuie très rarement en assistant à mes combats.

Ce que vous préférez dans votre discipline ?

C’est l’agressivité et l’impact que l’on retrouve dans les combats, mais toujours avec énormément de respect. Il faut aussi avoir de la technique et un sens tactique, être précis et patient, tout en restant très discipliné. 

MIZ_9232_R_Q.jpg

Vous étiez engagé dans un vrai contre la montre pour revenir en forme aux Jeux de Tokyo. Leur report — en raison du Covid 19 — est une aubaine pour vous ?

C’est clair que ça me laisse largement le temps de revenir. Maintenant, une si longue période sans compétitions, c’est comme une grosse blessure pour un sportif. Les premiers combats qui arrivent vont être scandaleux. Personnellement, j’ai retrouvé le rythme des entrainements, mais je dois encore retrouver celui de la compétition.

Quels résultats devez-vous obtenir pour assurer votre qualification ?

Ce n’est pas le genre de choses que je calcule, mais il ne me manque pas beaucoup de points. 2-3 grosses performances suffiront.

Un mot sur votre défaite en finale aux championnats du monde toutes catégories en 2017, face à Teddy Riner ? 

Lorsque vous rencontrez cette légende vivante, 10 fois champion du monde et double champion olympique, cela fait beaucoup parler de vous. Malgré notre différence de poids (près de 50 kg), les spécialistes ont remarqué que je suis monté sur le tapis en voulant lui casser la gueule. De son côté, il ne m’a pas sous-estimé. Il a pris ce combat très au sérieux et ça, c’est une très bonne chose. Rien ne dit que ce sera notre dernier affrontement.

L’année suivante, vous êtes sacré champion d’Europe en moins de 100 kg. Deux belles réactions après votre désillusion de Rio en 2016 ?

Les JO de Rio, c’est un sujet très sensible que je n’aborde jamais, une énorme déception suivie d’une longue période très compliquée. Mais c’est une expérience dont je vais me servir pour la suite de ma carrière.

Notamment pour apprendre à mieux gérer vos émotions ? On se souvient de vos larmes en interview après cette fameuse défaite en huitième de finale à Rio…

Mes émotions, mes sentiments, je les montre tout le temps et je ne saurais pas faire autrement. C’est aussi pour ça que les gens m’apprécient, je suis quelqu’un de vrai et d’entier. Je vais toujours dire la vérité en vous regardant dans les yeux. 

Avez-vous été impressionné par une performance belge lors des derniers Jeux ?

Nafissatou Thiam. Nous étions en stage ensemble au Brésil avant de rejoindre Rio. Elle était tellement cool, sans pression, et limite, sans espoir de médaille, presque en mode touriste. J’étais tout l’inverse. Au final, elle est championne olympique et je repars bredouille. Elle paraissait si épanouie, ça lui a donné des ailes et ça m’a marqué. Il n’y a pas qu’une seule façon pour devenir un champion, chaque sportif doit trouver le chemin qui lui correspond. Nafi en est la parfaite illustration.

Les Jeux olympiques organisés au Japon, on imagine que cela prend tout son sens pour un judoka ?

Je n’aime pas trop le Japon et la mentalité qui y règne. C’est beaucoup trop organisé pour quelqu’un de bordélique comme moi. Mais c’est vrai que c’est là que tout a commencé, c’est le berceau de notre discipline. Le judo est aussi l’un des sports les plus pratiqués et le fait que 100 % des gens présents dans la salle seront de vrais connaisseurs ajoutera une magie supplémentaire. Après, que ce soit à Tokyo ou à Schaerbeek, ça ne change rien pour moi.

Avez-vous d’autres passions ?

Le snowboard. Cela me manque, mais j’ai mûri et j’ai enfin compris qu’il ne servait à rien de prendre des risques inutiles. J’ai surtout besoin de ma dose d’adrénaline quotidienne et je suis un vrai compétiteur. Peu importe la discipline, si je joue avec quelqu’un qui n’a pas envie de gagner, je ne joue pas. C’est aussi simple que ça.

Pour conclure, serez-vous plus fort à Tokyo que vous ne l’étiez à Rio en 2016 ?

Oui, je serai plus fort, mais mes concurrents le seront aussi.

MIZ_9210 1_R2_QUADRI.jpg