LA VITICULTURE DOUCE. Domaines Paul Jaboulet Aîné …

La Maison Paul Jaboulet Aîné, c’est l’histoire d’une rencontre magique : celle d’un terroir généreux sur une colline en bordure du Rhône et d’une famille, passionnée par la vigne. Fondée en 1834 par Antoine Jaboulet (1807 – 1864) à Tain l’Hermitage, au pied de la colline, le domaine va prendre son essor sous la direction de ses fils, Paul et Henry. Depuis, les descendants se succèdent pour présider aux destinées d’un vignoble unique et exigeant. En 2006, la Famille Frey, établie de longue date en Champagne et propriétaire du Château “La Lagune” à Bordeaux reprend la Maison Paul Jaboulet Aîné. Interview avec Caroline Frey, œnologue et propriétaire.

L’actualité récente du vignoble français a prouvé que celui-ci était plus que jamais exposé à la mondialisation… le vin est-il un business comme un autre ?

Vous faites référence à la vente du domaine Bonneau du Martray à un homme d’affaire américain. Cette annonce a en effet déstabilisé les traditions bourguignonnes !

Mais si l’on regarde l’histoire du vin, les changements de nationalité ne sont pas si nouveaux que ça. Regardez en Champagne, Deutz , Krug , Bollinger. Ce sont des allemands qui ont créé ces maisons.

Ou bien Mumm : Fils d’un producteur et vendeur de Riesling en Allemagne, Georges Hermann Mumm commence par établir une collaboration avec des négociants en vin de Champagne, vers 1827. En 1852, il prend la tête d’une maison de Champagne qu’il nomme à son nom et la fait prospérer depuis, jusqu’à devenir un champagne d’exception mondialement connu.

À Bordeaux, les négociants anglais, flamands, allemands, russes et irlandais s’installent à partir du XVIIe siècle (on retrouve leurs noms dans ceux des crus actuels : Lynch-Bages et Lynch-Moussas, Mouton Rothschild et Lafite Rothschild, Langoa Barton et Léoville Barton, Boyd-Cantenac, Prieuré-Lichine, Kirwan, Cantenac Brown, etc.).

Le monde du vin a toujours été très ouvert et s’est ainsi construit mais finalement le plus important dans tout ça c’est que les hommes passent, mais les terroirs restent !

Maintenant est-ce que le vin est un business comme les autres ? 

Le monde du vin fonctionne à plusieurs vitesses, ceux qui veulent en faire juste un business ne feront jamais de grands vins.

Vous avez fait le choix de la biodynamie pour le Château La Lagune, pratique qui séduit de plus en plus de consommateurs. On sait par ailleurs que cette méthode impacte les rendements. Pourquoi ce choix ? Est-ce un défi au regard du contexte concurrentiel évoqué dans la 1ère question ?

Il est évident qu’aujourd’hui le consommateur est intéressé par les démarches environnementales mais à l’origine, notre cheminement n’a pas été motivé par cela. 

Ce qui fait un grand vin, ce qui le rend inimitable et constant, c’est bien le terroir dans lequel il prend naissance. Le terroir ce n’est pas juste un tas de pierres, une couche d’argile ou une plaque de calcaire. Non, le terroir c’est un lieu de vie, un cercle vertueux qui évolue depuis des millions d’années entre le minéral, le végétal et l’animal, c’est aussi l’interaction de ces éléments avec le climat et l’atmosphère, mais également l’intégration du travail du vigneron. Je crois que la viticulture des grands vins ne peut donc ignorer aucun de ces facteurs. 

J’ai rapidement pu constater à mon arrivée à La Lagune en 2004 puis chez Jaboulet en 2006 et à Corton C plus récemment qu’avec la viticulture conventionnelle en place les plantes s’affaiblissaient, les sols et les écosystèmes s’appauvrissaient.

Dès le premier millésime, nous amorçons donc les changements pour sortir de ce cercle vicieux. Mais,  on ne passe pas des antibiotiques à l’homéopathie du jour au lendemain. La plante doit s’installer dans la terre, trouver un nouvel équilibre, rétablir ses défenses immunitaires, redévelopper ses racines et les équipes doivent adhérer à cette nouvelle approche par conviction, et non par obligation. Pour être pérenne, le changement doit donc être progressif. Les inquiétudes existaient et certains nous prédisaient même l’échec assuré. Mais comme la vigne, nous sommes volontaires ! Nous avons tout d’abord supprimé tous les herbicides, premier grand drame de la vigne, et repris les labours. Dans le même temps, nous avons abandonné les engrais chimiques desynthèse, qui au-delà d’être polluants sont pour la plupart des sels qui forcent la plante à se gorger d’eau. Rien de tel d’ailleurs pour augmenter la sensibilité aux maladies... C’est donc le retour du bon vieux fumier ! 

En parallèle, en nous formant à l’utilisation des soins biologiques, ce sont les pesticides et insecticides de synthèse que nous avons progressivement éradiqués dont les inqualifiables systémiques, véritable poison capable de pénétrer dans la sève de la plante. Petit à petit, nous avons donc consolidé sur l’ensemble de nos vignobles une viticulture biologique, observé avec fascination l’évolution de nos vignes et de nos vins, et on a alors pu accéder, non sans fierté pour toutes nos équipes, à la certification de La Lagune et Paul Jaboulet Ainé et prochainement celle de Corton C. Soit 300 hectares de vignes travaillés par 60 vignerons formés et sensibilisés aux enjeux.  

Quand on parcourt nos parcelles, c’est assez difficile à expliquer mais on sent que la vigne va mieux : déjà elle se tient mieux, son feuillage est sain et vigoureux, les vrilles sont toniques. La terre est belle, souple, lorsqu’on marche dans les rangs elle sent bon. La vigne résiste davantage aux épisodes de pluie et de sècheresse. Ses racines sont à nouveau mycorhyzées, plongent plus profondément dans les sols,  permettant ainsi à la vigne une meilleure régulation de son alimentation hydrique et minérale. Et beaucoup d’autres choses positives encore. 

Dans les vins, millésime après millésime, nous avons vu les textures prendre de l’étoffe et sur l’Hermitage, cette chair, signature de La Chapelle. Les différences d’un terroir à l’autre se sont fortement accentuées, Les Bessards, le Meal, les Rocoules, pour parler de l’Hermitage, révèlent chacun leur histoire puis, par l’assemblage, vous murmurent celle de la colline. À La Lagune, les Cabernets Sauvignon de la croupe se distingue tellement que leur proportion augmente année après année dans l’assemblage.

En parallèle, souhaitant inscrire tous les process de nos entreprises dans le développement durable, nous avons également obtenu les certifications environnementales ISO 14001 et qualité ISO 9001. Par exemple, nos bouteilles ont été allégées, nous utilisons des encres végétales, des cartons recyclés. Nous traitons l’ensemble de nos déchets, réduisons nos consommations d’eau et d’énergie, sensibilisons nos équipes etc… Nous avons même notre propre potager bio pour le restaurant du Vineum ! 

L’écosystème viticole ne s’arrête bien évidemment pas à la limite de nos parcelles. Afin qu’elles bénéficient des meilleures conditions pour mener à bien leur œuvre, nous favorisons la biodiversité de nos terres non cultivées. Après avoir obtenu une qualification Haute valeur environnementale,  nous nous sommes rapprochés en 2014 de la Ligue de Protection des Oiseaux afin de bénéficier de leur expérience sur la faune. Ce partenariat s’est concrétisé par la création d’un premier Refuge de Biodiversité de 10 hectares de forêt et de prairies au cœur du Domaine de Thalabert. Un îlot qui en favorisant les interactions avec les auxiliaires naturels, participe à la régulation de certains ravageurs.  Les chauve-souris par exemple, en se nourrissant de milliers d’insectes, jouent un rôle certain. D’autres refuges sont en projet : à La Lagune, où nous pourrions ainsi aider à rééquilibrer la présence d’espèces invasives comme le frelon asiatique ou le lapin, gourmand de jeunes pousses de vitis Vinifera! Et un autre au Domaine de Roure sur les coteaux de Crozes Hermitage. Soit une centaine d’hectares où la biodiversité vient renforcer nos vignes. Une façon de soigner le terrain, et pas le microbe comme le préconisait déjà Louis Pasteur. 

Voilà, dans les grandes lignes. Ce sont surtout une sensibilité à la nature en général et mes convictions personnelles qui nous ont fait prendre il y a 15 ans le virage de la bio. 

Vous avez débuté l’aventure du Château La Lagune à 24 ans, le domaine était alors clairement en perte de vitesse. Où en êtes-vous aujourd’hui ? Quel regard portez-vous sur le chemin accompli ?

Dans les 3 vignobles (La Lagune en 2004, Jaboulet en 2006 et Corton C en 2015) que nous avons repris, il y a avait à chaque fois une perte de vitesse et notamment au niveau de la viticulture. C’est donc à la vigne que nous avons toujours commencé notre travail et en toute logique le reste a suivi. Aujourd’hui nous avons atteint beaucoup des objectifs que nous nous étions donnés et notamment la culture bio de nos vignes. Mais d’autres projets sont arrivés bien sûr ! Par exemple : la biodynamie, les refuges de biodiversité, le compostage, les réductions de cuivre, la qualité de nos pulvérisations, les plantes auxiliaires, et bien d’autres, dont un qui nous tient beaucoup à cœur, la création de notre propre sélection massale pour remplacer les clones qui ont appauvri et fragilisé considérablement le patrimoine végétal.

Vous dites que les vins racontent des histoires. Quelle est l’histoire que vous voulez écrire avec La Lagune ?

Sur chacun des terroirs que j’ai la chance de travailler aujourd’hui, la vigne est vraiment le cœur de notre travail. Une fois les raisins rentrés en cave, nous faisons le moins de choses possibles pour ne rien dénaturer. Je me vois dans le passage du raisin au vin comme un outil de révélation. La vigne fait parler la terre, le vigneron doit l’accompagner. L’histoire c’est bien celle de la terre, et surtout pas celle de la cave ! 

À la lagune, je vois d’année en année la pureté du Cabernet se dessiner, sur l’Hermitage l’étoffe et la profondeur, sur les granits de Saint Joseph c’est la finesse du grain et son côté « salivant ».

Et avec les grands vins comme La Chapelle et La lagune, plus on sera patient avec le vin mis en bouteille, plus l’histoire sera belle !

Faut-il vous considérer comme une vigneronne ou une entrepreneuse ?

Une vigneronne sans hésitation ! Mon père a la casquette de l’entrepreneur. Ainsi nous formons un duo très complémentaire !

Rêvez-vous de relever d’autres défis viticoles ? Si oui, où aimeriez-vous développer un autre domaine ?

Je viens tout récemment d’acheter quelques parchets dans le Valais, pas grand-chose, 1200 m² pour y cultiver de la Petite Arvine. C’est un cépage qui me fascine depuis toujours et une région que j’adore où je vais faire beaucoup de montagne. Alors naturellement, j’ai repris cette petite vigne, sur les coteaux de Fully. En surface, ce n’est pas très grand mais j’y consacre beaucoup de temps car j’y fais tout moi-même !

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