Road to Tokyo … L'oubliée

Writer // Boris Rodesch - Photography // Sébastien Van de Walle

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Fanny Smets, c’est l’histoire d’une sportive de haut niveau au parcours semé d’embuches. Diplômée en médecine, chef de projet chez Decathlon, il lui aura fallu une sacrée dose de passion, de volonté et de détermination pour rejoindre l’élite mondiale du saut à la perche. Celle qui domine largement sa discipline en Belgique oscille autour du top 30 mondial, synonyme de qualification pour les Jeux olympiques de Tokyo. À 34 ans, l’athlète liégeoise vise plus que jamais une première participation aux Jeux, avant de ranger définitivement ses spikes.

Nous la retrouvons aux Hauts Fourneaux de Cockerill, à Seraing.

Tu es née en Allemagne, où tu passes ton enfance et ton adolescence. Tu pratiques la gym avant de te diriger vers le saut à la perche, alors que tu es étudiante en médecine, à l’université de Liège. Comment es-tu passée de la gymnastique au saut à la perche ? 

J’avais 17 ans quand mes parents ont déménagé d’Allemagne en Belgique. J’ai cherché un nouveau club, mais la motivation n’était plus la même. Et puis, j’ai grandi de 13 cm en un an et la gym ne me convenait plus. J’avais déjà testé l’athlé à l’école. L’heptathlon, le saut en longueur, le 4 x 100 m et même le 800 m, je me suis lancée dans plusieurs disciplines.

Tu découvres la perche tardivement,
à l’âge de vingt ans. Des regrets ?

Pas sur mon âge, mais plutôt sur le suivi et l’accompagnement dont j’ai profité au départ, qui n’étaient pas forcément adaptés.

À quel moment décides-tu de te consacrer exclusivement à ta discipline ?

J’ai obtenu mon diplôme de médecine en 2012. J’ai décidé de tout miser sur la perche lors de la saison 2013. C’était impossible de combiner la perche et un assistanat ou une spécialisation en médecine. Je remercie surtout mes parents de m’avoir offert cette opportunité. 

À l’époque, c’est un gros pari de se lancer dans une carrière de sportive de haut niveau ?

J’ai toujours aimé prendre des risques. C’était un pari, même si je m’entraînais déjà aux Pays-Bas avec des entraîneurs qui ont tout de suite cru en moi et qui m’ont fait prendre conscience de mon potentiel. Avant d’entamer ma première saison, je sautais 4 m 25. L’année suivante, je sautais déjà 4 m 40 !

Nous sommes neuf ans plus tard et ton record personnel est un saut à 4 m 51 ?

Merci de me rappeler que je n’ai gagné que 11 cm (rires). Entre-temps, il y a beaucoup de choses qui se sont passées, et malheureusement, le parcours d’un athlète n’est pas fait que de progression et de choses positives.

Il y a aussi eu 14 titres de championne de Belgique.
Une telle domination au niveau national, ce n’est pas idéal en termes de concurrence ?

Jusqu’en 2016, Chloé Henry avait un niveau équivalent. C’était très stimulant. Sans vouloir dénigrer mes adversaires, pour l’instant, si je saute à mon niveau, personne ne peut me battre en Belgique. C’est aussi pour cette raison que je m’entraîne aux Pays-Bas, avec deux filles de mon niveau.

Tu as pris part à toutes les grandes compétitions, les championnats du monde et les championnats d’Europe. Il ne manque plus que les Jeux olympiques. Comment as-tu accueilli leur report en raison du Covid-19 ?

Pas très bien, à vrai dire. Dans ma tête, ma décision était prise, j’arrêtais ma carrière après les Jeux de Tokyo. Aujourd’hui, je me voyais faire tout sauf du saut à la perche. J’ai fait le tour de la question et j’avoue avoir envie de faire autre chose.

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Il faudra pourtant être patiente, puisque tu as choisi de tout mettre en œuvre pour participer aux Jeux cet été ?

En espérant qu’ils puissent avoir lieu. Le pire pour moi, ce serait que les Jeux soient finalement annulés. Mais il faudra l’accepter.  

Entre ta blessure au tendon d’Achille
survenue en 2018 et la crise sanitaire, les dernières saisons ont été relativement pauvres ?

Du 3 mars 2018 au 1er janvier 2019, je n’ai pas su faire un seul pas, même en marchant, sans ressentir de douleur. En 2019, je parviens malgré tout à me qualifier pour Doha où je me classe à la 20e position, avec un saut à 4 m 50. Et la même année, j’établis un nouveau record personnel à Leuven avec un saut à 4 m 51.

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En parallèle, pour pouvoir continuer à vivre de ta passion, tu organises des stages pour les jeunes, tu lances des financements participatifs et tu as même vécu six mois dans une caravane en Hollande, pour te rapprocher de ton coach… Comment est-ce possible que tu ne bénéficiies pas d’un contrat professionnel auprès de l’Adeps ?

J’ai le statut de sportive de haut niveau, mais je n’ai pas de contrat. Je ne reçois donc aucune aide financière de l’Adeps. Je l’ai obtenu à mi-temps en 2014 et 2015, et puis, plus rien. Le plus frustrant, c’est que personne ne sait me donner une justification valable. En 2017, j’ai remporté le spike de bronze qui récompense les meilleurs athlètes belges. Mes performances sont donc valorisées, mais rien ne change. Plus absurde, en 2019, j’ai participé aux championnats du monde à Doha avec un statut de monsieur et madame tout le monde. C’est incompréhensible et désespérant. Heureusement, je bénéficie d’une bourse de la LBFA (Ligue belge francophone d’Athlétisme) pour rembourser mes frais de stage et de déplacement.

Ce manque de soutien explique aussi pourquoi tu t’es expatriée aux Pays-Bas ?

En partie, mais c’est surtout pour profiter de l’encadrement et des infrastructures, qui font la différence. Nous disposons par exemple gratuitement d’un centre olympique dédié à la pratique du sport de haut niveau. Sur l’ensemble de ma carrière, je dois plus aux Pays-Bas qu’à la Belgique.

Il y a deux possibilités pour se qualifier aux Jeux. Soit se classer parmi le top 30 mondial à la date butoir du 30 juin — ce qui est tout à fait jouable —, soit passer la barre qualificative de 4 m 70. Que te manque-t-il pour franchir une telle barre ?

Je devrais être un peu plus rapide et oser prendre des perches plus dures. Avec les années, on prend conscience du danger et le corps freine. Il y a une série de facteurs qui font que ce n’est pas impossible. Disons que j’ai tout pour le faire, mais qu’il me manque un peu de tout. 

Pour conclure, que peut-on te souhaiter de meilleur pour la fin de ta carrière ?

Une qualification pour les JO de Tokyo et battre mon record personnel. Le must, ce serait que mes parents et mon frère soient présents dans le stade.

Instagram : fannysmets