Dans l’ombre du Team Belgium

Writer // Boris Rodesch - Photography // Sébastien Van de Walle

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Dr Johan Bellemans est le médecin en chef du Team Belgium. Chirurgien orthopédiste spécialisé dans la chirurgie du genou et des blessures liées à la pratique du sport, et fondateur et directeur de la GRIT Belgian Sports Clinic, ce néerlandophone est un ancien sportif de haut niveau, qui a participé aux Jeux olympiques de Barcelone.

Nous le retrouvons au centre hospitalier Ziekenhuis Oost-Limburg (ZOL).

Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en médecine sportive ?

En commençant mes études, je savais déjà que je voulais devenir médecin sportif. Connaître et comprendre les limites du corps humain liées à la pratique du sport m’intéressaient particulièrement. Que ce soit au niveau physique ou mental, j’admire chaque jour cette capacité qu’ont les athlètes olympiques à se mener vers des prestations exceptionnelles.

Le fait d’avoir été vous-même un athlète de haut niveau vous aide-t-il dans la gestion des sportifs au quotidien ?

Certainement. Cela me permet de comprendre leur ressenti, aussi bien les moments de plaisir que les moments difficiles propres à la pratique du sport de haut niveau. 

(Ndlr : En 1992, il se classe 18e aux JO en duo avec son frère, en voile dans la classe 470.)

Vous rejoignez le COIB en 2005 avant d’être nommé directeur du staff médical en 2016. Comment évolue la médecine au sein du Team Belgium ?

La couverture médicale des athlètes ne cesse d’évoluer. Si elle était plutôt basique à mes débuts, elle est devenue très professionnelle et spécialisée. Aujourd’hui, c’est un boulot presque quotidien pour les membres du staff médical.

À l’époque, vous êtes surpris de réaliser qu’il n’existe aucune politique médicale coordonnée dans le sport de haut niveau. Vous décidez alors, avec le soutien de Sport Vlaanderen, de lancer la plateforme PANEGA ? 

Il s’agit d’une plateforme logicielle qui nous permet de suivre les quelque deux cents athlètes de la délégation belge, sept jours sur sept, 24 heures sur 24. C’est très important, car la plupart d’entre eux voyagent à travers le monde, où ils ne sont pas toujours en contact avec des physiothérapeutes et des médecins. Cette plateforme leur permet d’être en relation directe et permanente avec un staff en lequel ils ont confiance, et surtout, qui connaît leur dossier.

Comment cela fonctionne-t-il concrètement ?

C’est un suivi intense qui réclame une communication transparente avec l’athlète et son staff. Notre équipe se compose de trente-huit physiothérapeutes et dix médecins qui doivent se coordonner pour s‘assurer de transmettre un message clair à l’athlète et à son entourage. À l’époque, il n’était pas rare d’assister à des situations où le staff médical de l’athlète disait A, celui de la fédération B et le team Belgium C. C’était un environnement très stressant pour les athlètes. Le message est désormais uniforme et propose une stratégie qui vise à ce que chaque athlète puisse être soigné par les meilleurs spécialistes du pays.

Y a-t-il des effets concrets en termes de résultats et de performances ?

Des études au niveau mondial démontrent qu’au moment des Jeux olympiques, près de 20 % des athlètes n’atteignent pas leurs capacités optimales. C’est important pour nos athlètes de le savoir, car cela signifie que 20 % de leurs concurrents ne seront pas au sommet lors des Jeux. Au regard de nos chiffres, nous pouvons dire qu’à Pékin, en 2008, 18 % de nos athlètes n’étaient pas au top niveau. Ce chiffre est tombé à 10 % pour les Jeux de Londres en 2012, et à 6 % à Rio en 2016. Les conséquences sont énormes. Prenez les 6 % de Rio, cela signifie qu’on a perdu au moins une médaille, car l’un de nos athlètes n’était pas à son meilleur niveau. Quand on sait qu’une médaille coûte environ 4-5 millions d’euros (ce chiffre est valable pour toutes les délégations olympiques)… 

Êtes-vous convaincu que les Jeux auront lieu cet été ?

Oui.

Dans un tel contexte, on imagine que la préparation mentale des athlètes est particulièrement importante ?

En effet. Depuis un moment, nous constatons les effets néfastes du manque de compétitions sur les athlètes. Ils ont besoin de cette adrénaline pour évoluer. Avec le coronavirus, ils développent un stress psychologique négatif, car ils ne connaissent pas leur état de forme. 

Avez-vous été impressionné par le retour de blessure d’un athlète belge ?

Plusieurs. Nafi avec son coude, qui parvient à remporter la médaille d’or à Rio alors qu’elle ne pouvait même pas manger normalement. Tom Boon, qui déchire son ischio et qui joue son meilleur hockey en demi-finale et en finale, à peine 3 semaines plus tard. Il y a plein d’histoires comme celles-ci. Les athlètes le savent et ça leur donne confiance. Ils se disent que même s’ils se blessent 3 mois avant les JO, ils pourront revenir à temps.

Ceci nous rappelle la fameuse phrase de Nietzsche : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts. » 

Exactement, j’y pense chaque jour. Même des petites blessures peuvent déséquilibrer un athlète. Le doute survient alors que ce n’est pas nécessaire puisque désormais, presque toutes les blessures peuvent être guéries. Et c’est tout particulièrement vrai pour les compétitions d’un jour. À l’exception des fractures, nous pouvons assurer aux athlètes de revenir à 100 % pour performer le jour J.

Votre passion pour le sport altère-t-elle parfois votre jugement ?

Il est essentiel de garder une certaine distance pour rester professionnel et éviter de devenir un supporter. Cela troublerait mon jugement et ça pourrait devenir dangereux. Un médecin doit parfois prendre des décisions qui ne plaisent pas aux athlètes et à son entourage. Nous avons tous le même objectif, celui de voir les athlètes atteindre le pic de leur forme physique et mentale à un moment déterminé. On peut avoir des avis différents sur le chemin à parcourir, mais chacun doit se tenir à son propre rôle, le coach, l’athlète et le médecin.

Pour conclure, précisons que vous êtes l’auteur de plus de 190 publications scientifiques, dont la plus importante qui a fini de démontrer l’existence du ligament antéro-postérieur du genou, mais aussi plusieurs qui s’intéressent à l’arthroplastie et à la revalidation qui s’ensuit.

La recherche est particulièrement importante. J’ai appris durant ma carrière qu’il existe encore plein de pathologies très méconnues, notamment au niveau du sport. Il est inutile de laisser ce domaine aux Russes, aux Américains ou aux Chinois. Il faut continuer à investir dans la recherche en Belgique afin de comprendre ce qu’il est possible de développer pour améliorer la revalidation et les performances de nos athlètes.

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DR Johan Bellemans - médecin-chef du COIB
www.teambelgium.be