1h22 avec… La Trêve

Writer // Boris Rodesch - Photography // Sébastien Van de Walle

SEB_1391.jpg

Matthieu Donck, Benjamin d’Aoust et Stéphane Bergmans, réalisateurs, scénaristes, et auteurs… Alors que le premier et le deuxième sont coauteurs de la bande dessinée Shrimp, Stéphane Bergmans a participé à l’écriture du premier long-métrage de Matthieu Donck, Torpédo. C’est en 2014 que les 3 amis se réunissent autour de La Trêve, la première série réalisée en Belgique francophone avec le soutien du fonds FWB-RTBF pour les séries belges. Le succès est unanime et dépasse largement les frontières, puisque La Trêve est diffusée dans 80 pays, notamment par Netflix.

SEB_1094.jpg


Votre première rencontre à tous les 3 ?

MD : On a grandi dans le même quartier du sud de Bruxelles. C’est comique parce que j’ai rencontré Ben pour la première fois à Paris, dans un festival de cinéma, en 2007. C’est pareil pour Steph, nous habitions la même rue, mais on ne s’était jamais vus avant de commencer nos études de réalisation à l’IAD (NDLR : l’Institut des Arts de Diffusion).

Benjamin, quelle est ta formation ?

BdA : J’ai étudié le journalisme à l’ULB. J’ai fait mes stages à la RTBF et au Soir, mais il y avait toujours ce sentiment d’urgence qui me mettait trop de pression. J’ai ensuite enchainé avec Elicit, une section d’écriture et d’analyses cinématographiques à l’ULB.

Le fonds d’aide pour les séries lancé conjointement par la Fédération Wallonie-Bruxelles et la RTBF en 2014… C’est la première fois que vous pensez à réaliser une série ? 

MD : On ne l’avait surtout jamais envisagé.

SB : Nous étions occupés sur nos projets en cours, mais nous réfléchissions déjà à une idée pour travailler ensemble.

SEB_1413.jpg
SEB_1520.jpg

Et c’est Matthieu qui vous envoie l’appel à projets de la RTBF par mail…

BdA : Exactement. On a commencé à en discuter sur l’heure du midi.

Vous vous lancez donc à 100 % dans ce nouveau projet ?

SB : On pensait que notre scénario serait trop dark pour la RTBF, mais finalement, ils étaient motivés. On s’est regardés tous les 3 dans les yeux et on a décidé de se lancer en mettant tout le reste de côté. Nous voici 4 ans plus tard.

BdA : Réaliser une série, c’est vorace, c’est impossible de faire autre chose à côté.

Quelles ont été les premières pistes de réflexion pour la saison 1 ?

BdA : Nous voulions un personnage principal qui soit trouble. Ce genre de mec, tu n’es jamais certain de pouvoir lui faire confiance, et en même temps, tu sais que tu n’as pas trop le choix si tu te lances dans la série. Le milieu du foot nous plaisait aussi. Et puis, à l’image de ce que font les frères Coen, nous aimons les « losers magnifiques », des personnages hyper charmants qui provoquent leur propre fin avec des idées complètement absurdes. Tu sais qu’ils vont se planter, mais tu as quand même envie d’y croire. 

MD : Le point de départ, c’était Yoann Blanc. Je l’avais dirigé sur Torpédo et j’étais occupé à mixer un court-métrage avec lui. J’ai tout tout de suite compris que ce serait lui l’inspecteur. Justement parce que je ne parviens jamais à savoir ce qu’il pense. Yoann a donc été sans le savoir notre premier catalyseur.

SB : On a très vite opté pour un murder mystery. C’était une façon de se fixer un carcan plus ou moins clair. Qui a tué qui ? C’est une structure assez rigide qui permet de placer plein d’autres choses autour. Cela nous permettait aussi d’avoir notre pipeline.

L’écriture à 3, c’est forcément très différent ?

SB : Nous avons mis un certain temps à trouver notre méthode.

MD : Dans les séries, contrairement aux longs-métrages où l’espace d’expression est plus restreint, il y a de la place pour que chacun puisse s’exprimer. Ce n’est pas comme s’il y avait la partie de Steph ou la partie de Ben. On raconte une histoire ensemble et chacun apporte sa touche avec son univers et ses pistes de réflexion. 

S’il fallait définir votre méthode ?

MD : Trouver le point de convergence de nos idées. On travaille avec des post-its partout sur les murs. On est surtout des vrais potes, on partage des films, des séries, des documentaires. On s’envoie plein de messages, des vidéos, des photos. Ça ne veut pas dire qu’on pense la même chose, mais disons qu’on arrive vite à trouver un feeling commun.

Avez-vous été surpris par la liberté créative que vous a laissée la RTBF ?

MD : On a pris confiance parce qu’on ne pensait pas que ça puisse se faire. Quand tu rentres dans des grosses structures de production, si tu n’es pas suffisamment fort, tu es vite dévié. J’étais particulièrement attentif et honnêtement, j’y allais un peu à reculons. Après, on a passé cet accord qui précisait que l’on pouvait faire exactement la série qu’on avait envie de faire.

BdA : On est aussi arrivés à un moment où les séries, c’était nouveau pour tout le monde. Nous en avons clairement bénéficié.

Quelles ont été vos inspirations ?

SB : Nous n’étions pas des grands fans de séries, mais très vite, on a commencé à en regarder beaucoup pour développer une sorte de langage commun. Nous nous sommes plongés dans des murder mysteries avec des séries scandinaves comme The Killing, mais aussi Broadchurch ou Fargo et House of Cards.

BdA : Steph et Matth ne ratent aucune émission de Faites entrer l’accusé. Ils me donnaient des devoirs… J’avais des listes de Faites entrer l’accusé à regarder, mais aussi des références de livres et même des faits divers à analyser.

Un épisode de Faites entrer l’accusé en particulier ?

BdA : L’assassinat du petit Grégory évidemment, mais aussi Patrick Dils : Marathon pour un acquittement, Jean-Claude Romand : Le Menteur, ou encore Christian Ranucci : L’énigme du pull-over rouge.

Qu’y’a-t-il de si intéressant dans les faits divers ?

MD : Ce n’est pas la nature du fait divers qui nous intéresse, mais plutôt la réaction des gens autour qui ne sont pas du tout coupables et qui attirent les soupçons avec des réactions bizarres. 

SB : Le fait d’avoir une culpabilité diffuse autour d’un personnage et le fait que tout le monde puisse avoir quelque chose à se reprocher, ça nous intéresse particulièrement.

Quels sont les pièges à éviter pour la réalisation d’une saison 2 ?

MD : Pour la saison 1, nous avons réalisé la série que nous voulions voir, sans le moindre frein. Notre dynamique d’écriture était de se surprendre constamment. Nous avons écrit à l’instinct et nous tenions à rester dans le même schéma pour la saison 2.

Quels enseignements avez-vous tirés des critiques ?

BdA : La principale critique visait une certaine systématique dans la suspicion. Le fait d’avoir un suspect par épisode. Nous proposons désormais quelque chose d’un peu différent. Il y a bien sûr toujours des suspects, mais ils sont moins nombreux. Ils rebondissent aussi de façon plus surprenante entre les épisodes.

Les premières lignes du scénario de la saison 2 ?

BdA : Dans la première saison, nous avions opté pour la politique de la terre brulée. Nous sommes repartis de zéro, ou presque. On retrouve certains personnages, mais nous voulions écrire une nouvelle histoire.

SB : Les erreurs judiciaires nous intéressent particulièrement. On aimait l’idée qu’un type soit accusé à tort et qu’il doive prouver son innocence. 

MD : Et puis la seule raison valable pour relancer l’inspecteur Peeters était que ce soit celle qui l’avait sauvé dans la saison 1 (la psychologue) qui lui demande un service.

Où regarderez-vous les premiers épisodes de la saison 2 ?

BdA : Au cinéma Aventure à Bruxelles. Ils diffusent tous les épisodes en parallèle de la RTBF. Se retrouver dans une salle et vivre cette expérience collective… C’est particulièrement émouvant.

Combien de personnes travaillent sur La Trêve ?

MD : 200 personnes sont directement concernées par la série.

BdA : C’est à 98 % les mêmes personnes qui étaient présentes sur la saison 1.

Le budget par épisode pour la saison 1 était de 250 000 euros, il est désormais passé à 429 000 euros…

BdA : Le salaire de chacun a été augmenté au prorata de cette augmentation de budget. Nous pensions aussi naïvement avoir plus de temps ou pouvoir investir techniquement, mais ce ne fût pas le cas.

70 jours de tournage où vous tourniez en moyenne 8 minutes par jour. Êtes-vous restés sur les mêmes standards que pour la saison 1 ?

SB : Nous étions pour la saison 2 sur une moyenne de 7 minutes, sachant qu’il y a eu des jours à 6 minutes 30 et d’autres à 12 ou 13 minutes. Le tournage a duré 80 jours.

BdA : Et le record Steph ?

SB : 18 minutes sur une journée.

Matthieu, tu as déjà travaillé avec François Damiens. Un acteur plus banquable pour la saison 2, ça ne vous a jamais traversé l’esprit ?

MD : Nous avions pensé à François pour la saison 1, mais on est arrivé à la conclusion que ça allait déséquilibrer la série. Si tu ne connais pas les acteurs, tu y crois plus. C’est un des avantages de la série par rapport au cinéma, où il faut pouvoir compter sur un acteur banquable pour monter un film. À l’inverse, dans le domaine des séries, la star, c’est la série. 

La naissance de cette industrie parallèle, c’est une aubaine pour toute l’industrie du cinéma ?

MD : C’est essentiel. C’est l’une des choses qui nous a le plus motivés tous les 3. Quand je suis sorti de l’IAD, j’ai rencontré des réalisateurs flamands du même âge qui profitaient déjà de l’industrie des séries en Flandre. Ils écrivaient un film et on les appelait pour réaliser 2 épisodes. C’est tout bénéfice pour eux, ils apprennent le métier et leur carrière progresse plus vite.

BdA : L’industrie des séries existe depuis longtemps en Flandre. Il y a des réalisateurs avec beaucoup d’expérience, comme Jakob Verbruggen qui a réalisé les deux derniers épisodes de la quatrième saison de House of Cards ! 

MD : On exerce très peu dans nos métiers et c’est logiquement difficile d’acquérir de l’expérience. Si les séries s’installent, ce sera un super laboratoire pour l’industrie du cinéma en général. 

S’il fallait conseiller une série néerlandophone ?

BdA : Matrioshki, coréalisée par Guy Goossens, qui est venu bosser avec nous pour la saison 1. 

SB : Il y a aussi Beau Séjour, disponible sur Netflix. Le premier épisode a réuni 1 million de téléspectateurs en Flandre. 

Sur le plateau de tournage, Benjamin assure la deuxième caméra, Stéphane est scripte et Matthieu est « Show runner » ?

MD : C’est un grand mot. On est très vite arrivés à la conclusion qu’il fallait quelqu’un pour trancher et nous éviter de discuter pendant des heures. Je réalise, dans le sens où je mets en scène, mais cela me permet surtout, et c’est un luxe abyssal, d’avoir les 2 autres scénaristes à disposition sur le plateau. 

Vous avez tourné dans les Ardennes durant 9 semaines pour la saison 1, et 11 semaines pour la saison 2, quel était votre stam café ?

SB : Les Gamines à Saint-Hubert.

Votre plus belle rencontre dans le Thalys ?

MD : Fabrice Du Welz, on le croise à chaque fois qu’on prend le Thalys. C’est le réalisateur belge de Calvaire, il vient juste de finir son 6e long-métrage, Adoration. Il tourne aux U.S.A, en Flandre, c’est un grand réalisateur.

Un film belge en particulier ?

BdA : Alleluia de Fabrice Du Welz.

SD : La Merditude des choses réalisé par Felix Van Groeningen.

MD : Je me tue à le dire de Xavier Seron, le film est une énorme bombe.

Une bande dessinée à conseiller ?

BdA : L’Odyssée d’Hakim et Kobane Calling

MD : Une Mémoire de Roi de Mathieu Burniat.

On arrive gare du Nord, quels sont vos projets pour la journée ?

MD : C’est une super occasion de se retrouver tranquilles à 3.

SB : On va commencer par aller voir une exposition au Bal. 

(NDLR : le Bal est une plateforme indépendante d’exposition, créée en 2010 par Raymond Depardon et Diane Dufour, dédiée à l’image contemporaine sous toutes ses formes : photographie, vidéo, cinéma, nouveaux médias. Expo en cours : Dave Heath - Dialogues with Solitudes)