1h22 avec Charlie Dupont

Writer // Boris Rodesch - Photography // Jean-Jacques De Neyer

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Auteur, acteur, réalisateur ou producteur, Charlie Dupont est connu pour ses rôles au Cinéma ou à la Télévision et pour ses nombreuses capsules vidéo. Défenseur d’une certaine belgitude, il fut notamment l’auteur d’une carte blanche remarquée dans le journal Le Monde au lendemain des attentats du 22 Mars à Bruxelles. Plus récemment, il lançait aussi son application TooMuch,  un frigo solidaire dont le but est d’éviter le gaspillage de nourriture.

Bruxelles-Paris, qu’est ce que ça t’évoque ?

Il y a 15-20 ans on avait fait un pilote d’émission qui s’appelait Bruxelles-Paris/Paris Bruxelles. J’avais pris le train Paris-Bruxelles avec Alexandra Vandernoot et Bruxelles-Paris avec Jean-Luc Fonck. 

Tu prends souvent le Thalys ?

C’est ma deuxième maison. Il y a dans un train qui roule quelque chose de rassurant, le paysage défile comme une preuve que la terre tourne. J’apprécie cette obligation de passivité qui devient si rarissime dans nos vies surchargées. Devoir faire quelque chose, ce n’est plus une obligation sociale, c’est intégré en nous. Heureusement le Thalys nous rappelle qu’il est possible de ne rien faire pendant 1 heure et 22 minutes.

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Tu aurais fais quoi aujourd’hui si je ne t’avais pas croisé dans le Thalys ?

J’aurais mis un casque anti bruit avant d’écouter le Concierto d’Aranjuez de Jim Hall avec un Chet Baker au sommet de sa forme.

Te souviens tu de ton premier séjour à Paris ?

J’ai un souvenir très précis avec mes parents. C’était le lendemain de l’Epiphanie, nous mangions dans un restaurant de la Place Clichy. Mon père me faisait tellement rire, le serveur m’avait décerné la couronne du roi du rire. En toute humilité bien sur, ce n’est qu’une anecdote.

La première fois que tu penses à devenir comédien ?

J’admire les gens comme ma femme – Tania Garbarski- qui savait déjà depuis l’âge de 6 ans qu’elle voulait être comédienne. De mon côté ce n’était pas du tout le cas. J’ai découvert le Théâtre en deuxième candidature de Droit en jouant dans une pièce amateur avec Arnaud van Schevensteen, un mec formidable, pilote automobile émérite et unijambiste de sa personne. Après 5 minutes, son handicap n’existait plus. J’ai vraiment été séduit par le fait que la force du jeu puisse à ce point transfigurer le réel. 

Gamin, quels étaient les comédiens qui te faisaient rêver?

J’étais fan de Steve Mc Queen par rapport aux voitures et à Bullit. Après que ce soit entre les Snuls et les Monty Python ou Peter Falk dans Les Ailes du désir de Wim Wenders et Denis Lavant dans Mauvais Sang de Leos Carax, mes goûts ont toujours été très hétéroclites.

Ta carrière est difficile à définir… Tu ne sais pas vers où tu vas ou, au contraire, recherches-tu cette polyvalence ?

C’est une excellente question. Je prends plusieurs directions parfois très divergentes mais je crois que la liberté c’est justement de pouvoir toutes les assumer sans devoir se coller une étiquette. Si c’était une sorte de dispersion à un moment donné, désormais, c’est plutôt un contre-pied à tous ceux qui voudraient me ranger dans une case.

Quel serait le fil conducteur de toutes ces activités ?

C’est l’émotion. Mon métier c’est de raconter des histoires pour créer des émotions. Le moyen d’y parvenir n’a finalement que très peu d’importance. Si on a une bonne idée, peu importe qu’elle soit drôle ou non, l’important c’est d’avoir envie de la raconter. 

Ce ne sont pas des métiers faciles, à partir de quel moment oses-tu y croire ?

Le moteur c’est d’avoir l’impression que tu n’y arriveras jamais. J’ai depuis toujours un gros sentiment d’imposture et ce n’est pas de la fausse humilité. Je le vis comme ça, c’est positif.

Parce que tu as parfois l’impression que ce n’est pas un vrai métier ?

Il y a de ça mais il faut être honnête et avoir conscience que ça aurait aussi pu tomber sur quelqu’un d’autre. En Belgique en particulier, je vois tellement d’acteurs meilleurs que moi qui n’y arrivent pas… C’est une question de chance.

Une définition de l’humour belge ?

Entre Pablo Andres, François l’Embrouille et Philippe Geluck, il n’y a pas une vraie unité mais il y a tout de même une distinction. C’est un humour autoréférentiel qui rit d’abord de soi avant de rire des autres. C’est notre côté anglo-saxon.

Ta plus belle rencontre dans le Thalys ?

Les vendredis soir et lundis matin dans le Thalys c’est le Festival de Cannes. Tout le cinéma belge est réuni. J’ai passé dernièrement un magnifique trajet avec Bruno Debie qui travaillait avec nous à l’époque sur les capsules Faux contact. Il est désormais le chef opérateur de Wim Wenders et de Ryan Gosling.

Sur les planches avec Maris et Femmes ou dans Tuyauterie mais aussi au Cinéma avec Deux au carré, tu n’hésites pas à partager l’affiche avec ton épouse Tania Garbarski.

Pendant presque 20 ans nous n’avions jamais travaillé ensemble et nous trouvions ça dommage. Nous avons commencé au Théâtre avec Promenade de santé de Nicolas Bedos et nous avons enchainé. Inchallah comme on dit en Flandre, jusqu’ici tout se passe au mieux.

Jouer ensemble, c’est une valeur ajoutée ?

Pour nous et aussi pour le public. Dans notre jeu, on a deux écoles tellement différentes, si je devais faire un parallèle foireux, c’est un peu comme si Isabelle Huppert rencontrait John Cleese.

Le stéréotype de l’acteur égo-tripé qui s’écoute parler ?

Le truc c’est que ça empêche surtout d’avancer. Ce n’est même pas pour des raisons morales qu’il ne faut pas se la péter, c’est juste que si tu fais passer ton ego avant ton projet, il coule. C’est la même chose pour un PDG d’entreprise qui met son cul à la place de ses clients, très vite il n’aura plus de clients.

Ce que tu préfères dans ce métier d’acteur ?

Tout ce qui me ramène à ma propre enfance. Dans la cour de récréation on se prenait tous pour des personnages. C’est la même chose aujourd’hui, j’éprouve autant de plaisir lorsque je commence un nouveau rôle. Je rentre à chaque fois dans un nouvel univers avec un nouveau costume et des nouvelles cartes à jouer. 

Si tu devais choisir entre le jeu d’acteur au Théâtre ou au Cinéma ?

Malgré la distance avec le public, je choisirais le Cinéma parce que quand tu joues le cowboy au Théâtre tu fais semblant d’avoir un cheval tandis qu’au Cinéma tu as vraiment le cheval. Et ça j’aime vraiment bien.

Quels sont tes autres hobbys ? 

J’adore la course automobile. J’ai même remporté une course de Karting avec David Coulthard (NDLR : Un ancien pilote de F1) et plus récemment j’ai participé avec Cap 48 aux 25 heures VW Fun Cup  de Spa Francorchamps. Les bagnoles, le kite surf, la musique ou le jeu d’acteur, c’est toujours une histoire d’émotion. 

Ton dernier concert ?

J’ai assisté à un magnifique concert de Grégory Remy (guitariste de Ghinzu) au restaurant Au Repos de la Montagne à Uccle.

Ton dimanche idéal ?

Je choisis un bon morceau de musique que j’écoute tranquille dans notre salon avant d’aller rouler à vélo en Forêt de Soignes.

Tu vas regarder la demi finale France-Belgique à Paris demain soir ?

Je n’y connais rien en football mais les Diables provoquent une telle émotion. Je ne suis pas insensible. J’ai même annulé la représentation pour pouvoir regarder le match à Paris.

Un mot sur l’adaptation de la série TV « Hard » au Théâtre ?

C’est un super projet qui peut compter sur le tero de la série. On retrouve le fondateur des Guignols de l’Info, Bruno Gaccio, qui avait écrit une partie du scénario, ou encore François Vincentelli alias Roy Lapoutre. Il y a aussi des nouvelles recrues fantastiques. Claire Borotrat ou Nicole Croisille, les fans ne seront pas déçus.

Ta plus belle rencontre grâce à ton métier ?

C’était lors des 25 heures VW Fun Cup de Spa Francorchamps, j’ai eu la chance de discuter 10 minutes avec Jacky Ickx. Un mythe absolu, l’homme plus classe du monde, une légende vivante sympa et drôle ; j’avais l’impression d’avoir 10 ans. Comme acteur, j’ai beaucoup d’affection et de respect pour Bernard Campan. Nous avons regardé ensemble Belgique-Japon. C’est vraiment un mec formidable.

Un mot sur le lancement de l’application TooMuch qui souligne aussi une certaine générosité et un certain jusqu’au-boutisme de ta part ?

C’est joliment dit mais en réalité c’est beaucoup plus simple. J’avais vu traîner des restes de nourritures dans la cantine d’un studio d’enregistrement. Plutôt que de la jeter, je me suis dit : «Et si on tentait de rééquilibrer le marché du trop-alimentaire ?» À partir du moment où tu as ce genre d’idées, ce n’est même pas moral, c’est juste une obligation. 

Des nouvelles dates à Paris cet été pour la pièce Tuyauterie ou l’adaptation de « Hard » au théâtre de la Renaissance dès le 2 octobre… Tu passes de plus en plus de temps à Paris.

Nous emménageons près de Montmartre avec nos deux filles de septembre à décembre. C’est la première fois que l’on bouge tous ensemble.

Quelle est la principale différence entre Paris et Bruxelles ?

Paris est tellement sublime que le parisien a du mal à se sentir aussi beau que sa ville. Frustré il développe un complexe d’infériorité qu’il transforme en complexe de supériorité. Le bruxellois quant à lui a conscience que sa ville n’est pas si superbe, c’est ça qui la rend sublime. Il s’en fout de ne ressembler à rien car c’est plus facile à gérer et à l’inverse du parisien, il ne rejette pas la faute sur les autres.

Ce que tu détestes le plus dans la notoriété ?

Les gens collants. C’est magique de provoquer un sourire chez certaines personnes en ne faisant rien mais le type qui insiste et qui reste longtemps… Tu ne peux rien lui dire car cela fait partie du métier. Le pire, c’est celui qui ne sait même pas qui tu es mais qui désire un selfie. C’est le summum de l’absurde au royaume de l’image.

Des adresses fétiches à Bruxelles ou à Paris?

Le restaurant sicilien Certo à Bruxelles. Je me suis lancé dans cette aventure avec la famille pour une simple raison. C’était la mise en scène idéale de mon beau-frère Federico comme acteur principal. Il fallait juste lui trouver le bon décor. Vous y goûterez le meilleur cacio e pepe de Bruxelles. Dans le même style à Paris, il y a le Bar Italia. Après, c’est le cliché absolu, mais j’aime bien retourner boire un verre à l’hôtel Costes.

Que dois tu à ton métier ?

La survie. Si tu m’empêches de jouer, je deviens très vite claustrophobe.

Une superstition?

Je porte toujours le même slip bleu sur tuyauterie, c’est mon slip fétiche.

Pour conclure, une bonne blague belge ?

C’est fini les blagues belges, par contre tu sais comment faire une bonne affaire avec un français ? 

Tu l’achètes au prix qu’il vaut et tu le revends au prix qu’il croit valoir.